JULES VERNE ou l'échec de la prédiction du futur
par Kristo De Foulonval rév130321 format LDP+
Mots clé : Jules Verne, prédiction, futur, prévision, prospective, invention, découverte scientifique, science-fiction.
J’ai été attiré par la science fiction depuis mon enfance et je me suis toujours demandé quel serait mon futur 50 ans plus tard. Dans ma jeunesse, comme de nombreuses personnes, j’ai lu les aventures de Jules Verne. En 2015, j’ai découvert à nouveau Jules Verne. J’ai été particulièrement intéressé par son premier manuscrit qui signe son entrée dans le domaine de la science-fiction : Paris au XXème siècle. Il en a commencé l’écriture en 1860 mais ce roman sera refusé par son éditeur et publié tardivement en 1994. En 1960, j’habitais à Paris dans le 20ème arrondissement et j’étais lycéen. Je n’avais donc jamais lu ce texte écrit 100 ans auparavant, qui décrivait Paris en 1960. Cette lecture pouvait - elle m’apporter une solution pour prédire l’avenir de mes enfants et petits enfants ? J’ai cherché la réponse et c’est ce qui m’a décidé à écrire ce blog. Je crains malheureusement que prédire le futur ne soit seulement qu’un exercice de style en raison de l’explosion des inventions technologiques au 21ème siècle.
Ce post est une synthèse de billets écrits entre 2015 et 2020.
Qui est Jules Verne ?
C’est un écrivain né en 1828, célèbre pour ses romans d’aventure et de science-fiction. Dans un manuscrit écrit entre 1860 et 1863 : Paris au XXème siècle. Il va projeter sa vision de Paris 100 ans plus tard. Ce roman, un des premiers, n’entre pas dans la série des succès qui le fera ensuite connaître (Cinq semaines en ballon, Le tour du monde en 80 jours, Vingt mille lieues sous les mers, parmi d’autres) Par vocation, il a déjà écrit des poésies, des billets et des pièces de théâtre.
A l’époque la littérature n’est pas tournée vers une projection futuriste. La culture ambiante est encore à la poésie, au vaudeville, au roman ou bien encore au récit politique avec un regard sur la société et ses mœurs. Les littéraires et autres écrivains sont d’abord spectateurs de leur époque et rares sont ceux qui abordent le futur sur une base rationnelle. Est-il bien raisonnable de prédire le futur du monde dans 100 ans alors que l’on va encore chez la cartomancienne pour prédire son propre futur ?
Cependant, Malthus (Essai sur le principe de population en 1798) introduira la prévision démographique liée à celle de la ressource agricole. Cet essai aura une grande influence et sera à la base de plusieurs théories économiques sur la loi des rendements décroissants et la paupérisation.
Jules Verne sera qualifié de « prophète », par son éditeur Hetzel. Prophète, c’est une personne qui entre la fiction de l’avenir dans le divinatoire en l’absence de tout argument basé sur la logique, le raisonnement et les sciences. Nous verrons que cette opinion, bien que brutale, reflète certainement une vision affairiste. L’éditeur pensant qu’il n’y avait pas de public pour ce genre de littérature.
« Mon cher Verne, fussiez-vous prophète, on ne croira pas aujourd'hui en votre prophétie ». Extrait de lettre de l’éditeur Hetzel à Jules Verne cité par Piero Gondolo Della Riva, expert de la biographie de Jules Verne.
En 1863, sa proposition de livre se fera donc retoqué par Hetzel ; et pourtant la même année, ces autres récits d’aventure deviendront des succès en tant que romans d’un nouveau genre, le récit de science-fiction (un mot quasi inconnu à l’époque). L’idée d’Hetzel était plutôt de promouvoir une revue littéraire destinée à l’éducation des enfants en publiant des romans d’aventure s’appuyant sur les sciences et contenant des illustrations.
Par la suite, Jules Verne défriche, à travers ces écrits, ce nouveau genre littéraire d’aventure et de science-fiction. Faisant une description du monde futur. Il puise dans les découvertes scientifiques et les inventions. Il les combine parfois pour en imaginer les applications. Il deviendra la figure historique de ce nouveau genre. Paradoxalement, si l’auteur se documentait avec frénésie sur les découvertes techniques de son siècle, il était effrayé par la domination de la technique sur l’ancien monde de l’éducation qu’il avait connu et qu’il vénérait. Le contrat avec son éditeur l’amena effectivement à mieux connaître les nouvelles technologies, à fréquenter les bibliothèques, à consulter les revues techniques en rapport avec ses écrits, à s’informer auprès de nombreux spécialistes (ceux qu’il appelle « les Savants ») et auprès de proches, amis ou membres de sa famille, enseignants, chercheurs, ingénieurs, hommes d’expérience. Son monde littéraire était celui des lettres classiques et de la musique classique, et il dut s’investir dans le domaine scientifique et technique avec la mentalité d’un journaliste professionnel.
Il faut tout d’abord remarquer que Jules Verne était un auteur de pièces de théâtre et qu’une partie de ce manuscrit comprend de nombreux dialogues qui ne sont pas liés à la science- fiction mais plutôt à des petites scénettes théâtrales.
L’ouvrage, écrit en 1860, serait donc plutôt un mauvais roman à l’époque de Victor Hugo, Alexandre Dumas, Gustave Flaubert, Honoré de Balzac, Emile Zola. L’intrigue elle-même reste pauvre et les atermoiements de Jules Verne sur ce nouveau monde soumis à la technologie sont une longue tirade pessimiste sur le futur. Quoi qu’il en soit, il entend situer sa vision à 100 ans plus tard. Il ouvre ainsi le volet de la prédiction du futur.
Peut-on prédire le futur ?
Prédiction ou anticipation ? Prévision ou prospective ? Prophétie ou Imagination ? Le vocabulaire est large en pratique. Bien que l’on parle bien souvent de roman d’anticipation, nous pensons que dans le cas de ce roman de Jules Verne : Paris au XXème siècle, il s’agit de prédiction, une histoire qui relate des faits qui vont survenir dans un futur daté et non une anticipation. L’anticipation suppose que l’on agisse en conséquence fort de notre connaissance présumée du futur. La prédiction peut conduire à envisager plusieurs futurs possibles et à en choisir un qui paraît plus plausible. Par extension, l’anticipation vise à déduire les conséquences des prédictions du futur ; et la frontière entre les deux mots devient alors ténue. Il y a donc de l’anticipation dans le roman de Jules Verne.
« Peut-on prédire le futur ? » est un préalable à la question « comment ? ». Mais, cette dernière question n’a pas de sens s’il n’est pas possible de prédire le futur. Chez jules Verne, la prédiction n’est pas qu’un relevé des avancées techniques, il est également le résultat d’une perception subjective de la société de son époque et le reflet de ses propres états d’âme. Il fait entrer son époque dans une dynamique bien cadrée et la projette sur le futur. Il suit les tracés de cette dynamique et s’en écarte peu. Il en gonflera certains traits comme celui de la domination technique.
Une prédiction peut-elle échapper à la personnalité de celui qui la propose ?
Chez Jules Verne, son passé, son éducation, son travail d’agent de change (qu’il na pas véritablement choisi et qui n’est pas sa vocation première) ont influencé sa vision globale de l’avenir. Quelles qu’en soit les causes, pessimiste à l’excès, il va complètement noircir cet avenir. Il va réduire pratiquement à néant la place que vont occuper les arts et la littérature classique dans le monde futur. Aucun argument scientifique n’étaye cette projection. C’est une vision apocalyptique, bien qu’elle soit limitée aux arts et lettres. Par contre, il croit au devenir d’un monde technique, envahissant, avec un pouvoir absolu. Il en prédit les conséquences, comme la nouvelle ascension sociale basée sur l’expertise technique. Il étend ce pouvoir de la technologie aux règles d’un nouveau code moral de la bonne société. A sa vision de la domination technologique, Il ajoute de manière visible, la toute-puissance du système financier et capitaliste et la profusion de l’argent aux mains des banquiers. Il établit une relation plutôt réservée entre le capitalisme, la technique et la richesse. Jules Verne lui-même avait une charge à la bourse de Paris et avait une bonne connaissance du système.
En 1848 est promulgué le manifeste du parti communiste et en 1867 le premier tome de Karl Marx, Le Capital (livre 1). Critique de l’économie politique. Jules Verne n’est pas un politicien et il n’a peut-être pas lu les écrits de Karl Marx, mais il connaît le monde capitaliste sans pour autant être pleinement conscient de la transformation du monde ouvrier et de ses conditions de travail. Il pointe seulement l’extension du capitalisme en l’associant à la domination technique et au contexte industriel. A cette époque, sa vision du lendemain s’enferme dans le macrocosme parisien et pour l’auteur, c’est celui-ci qui représente l’évolution de la France de demain. Cependant, il intégrera l’Angleterre et les Etats-Unis dans ces romans soit comme décor, soit par les personnages, les Savants, qui participeront aux aventures sur tous les continents.
Pourquoi Jules Verne mérite t-il une telle consécration ?
L’équilibre entre aventures à rebondissements, fictions technologiquement crédibles, et voyages hors du commun, est la clé. L’époque est en grande transformation et à l’inverse de ce qu’il décrit dans son essai, de nouveaux courants artistiques et littéraires se dessinent. Son époque devient progressiste. Dans le même temps, l’apprentissage de la lecture se démocratise de plus en plus. Ainsi, le certificat d’études primaires est généralisé en 1866.
De même, les moyens techniques d’impression évoluent et la presse verra son tirage multiplié par 5 entre 1860 et 1870. L’invention technique dans le secteur de l’imprimerie accompagne cette évolution de l’information. Autre élément de changement, l’information franchit les continents avec le développement du journalisme.
Les grands voyages sur d’autres continents se multiplient et les récits de voyages se popularisent. Que l’imaginaire se mélange à la fiction scientifique, est dans l’air du temps. Ce genre littéraire auquel Jules Verne a apporté sa première pierre, connaîtra un second développement 25 ans plus tard avec les romans de H.G Wells (il signe son premier roman en 1895, la machine à explorer le temps). L’histoire du roman sera marquée par le pessimisme qu’il s’agisse de celui d’Aldous Huxley (Le meilleur des mondes, 1932) ou de Georges Orwell (« 1984 », publié en 1949). Puis, ce sera ce que l’on appellera la « HSF ou hard science fiction » basée sur des extrapolations technologiques vraisemblables. La science-fiction gagne le grand public.
Citons Isaac Asimov dont le public a connaissance de ses œuvres dans les années 1950’ et plus tard le film 2001 Odyssée de l’Espace de Stanley Kubrick qui est un autre exemple de cette diffusion grand public de la science fiction.
Les romans de Jules Verne, parfois publiées en feuilleton dans une revue destinée à la jeunesse jouent un rôle de vulgarisation de la science. Une centaine d’année plus tard, le genre continue à se développer variant l’histoire fantastique comme dans les comtes et légendes et la fureur destructrice d’un futur qui voit le monde disparaître.
Dans la grande lignée des projections de notre manière de vivre à long terme, il faut faire une place spécifique à Isaac Asimov qui en 1964, à l’occasion de l’exposition Universelle de New York, fera un tableau des inventions utilisées en 2014, 50 ans plus tard. Il suit la même voie que Jules Verne en s’appuyant sur les nouvelles technologies naissantes.
Jules Verne avait-il une méthode de prédiction du futur ?
Pour moi, L’intérêt de son premier manuscrit réside dans le cheminement de Jules Verne qui le conduit à construire un scénario du futur basé sur les découvertes scientifiques et inventions technologiques. Cela traduit une conscience nouvelle qui relie la science à la vie de tous les jours et à celle du lendemain. C’est en ce sens qu’il est un précurseur plus qu’un visionnaire.
Le siècle des lumières et la révolution industrielle ont donné le coup d’envoi de la civilisation scientifique et technologique. La poursuite des inventions scientifiques et techniques dans la première partie du 19ème siècle va nourrir les romans de Jules Verne.
Il percevra également le développement technique comme impactant les mœurs et la vie sociale, la liberté de parole et de création, l’éducation, les arts et les lettres. Il montrera comment se crée un pouvoir dominant par la technique à travers la nouvelle richesse des banques et autres organismes capitalistes.
La méthode de Jules Verne est-elle reproductible ?
Il nous faut analyser la projection de l’auteur qui décide de faire un bond de 100 ans, d’en chercher la méthode et d’en tracer les limites. Le roman de Jules Verne : Paris au XXème siècle nous servira de base.
Sa méthode repose sur une bonne documentation, un développement de la liaison entre plusieurs éléments : découverte scientifique, progrès technique, application technologique à grande échelle, insertion dans le contexte du quotidien de la population. Le plus souvent, il se contente d’étendre et de généraliser l’application technologique.
Le mécanisme de fiction créative qu’il utilise peut se concevoir ainsi : Il existe bien une invention réelle, une invention primaire, avec un brevet ou non comme point de départ.
Par invention primaire, nous entendons une invention dont le principe technique unique ou combiné est nouveau et permet un usage qui n’existait pas auparavant (l’ampoule d’éclairage utilisant le courant électrique par exemple).
Il fera un choix sélectif d’une technologie et en fera une généralisation, il en projette certaines conséquences sur l’environnement urbain et le mode de vie.
Pour cela, il peut l’associer à une finalité ce que nous appellerons principe de finalité sociétale. Cela répondre à un besoin de progrès technique plus performant, gagner en confort social, en puissance économique ou industrielle, gagner du temps de production, gagner en efficacité pour voyager, communiquer, échanger, dominer la nature, etc.
Jules Verne, dans ces futurs romans, ne fait pas une priorité de cette liaison entre invention et finalité sociétale pour justifier la généralisation de l’invention. Il peut également prendre en compte l’individualité du personnage central de son roman. Ce sera le cas dans ces autres romans d'aventure.
Dans ce premier roman, la technologie de l’air comprimé est mise au service de la société. Cette technologie sert à envoyer rapidement des messages écrits à travers des tubes. Elle était connue et avait fait l’objet d’un brevet en 1854. Jules Verne généralise cette innovation et l’applique à la locomotion des wagons. Il retient le système d’air comprimé pour le transport de la population sur rail. Il souligne ainsi l’importance des transports en commun comme besoin essentiel de son époque.
Techniquement, l’air comprimé circule au milieu de la voie dans un tube et tracte le train par liaison électromagnétique entre le disque, un électroaimant inséré dans le tube au milieu des rails, et les aimants fixés à proximité de part et d’autre sur la première voiture. Les premiers systèmes qui ont été développés à cette époque ne furent pas satisfaisants (Tomlinson en 1820 aux USA et Andraud 1830 en France) et cette solution, une parmi d’autres, fut abandonnée. L’air comprimé restera cependant une technologie de transport de courriers et documents à travers Paris (j’ai eu moi-même l’occasion d’envoyer des pneumatiques par le réseau postal parisien dans les années 60’. Il sera abandonné en 1984). L’air comprimé va ensuite connaître une nouvelle jeunesse.
L’aérotrain inventé par Jean Bertin dans les années 60’ a atteint la vitesse de 430 km/h en 1974. Il utilise également l’air comprimé en produisant un coussin d’air qui supprime les frottements avec le rail conducteur ; mais le système n’a pas été retenu comme système ferroviaire généralisable. Ce sont les trains à grande vitesse (TGV) qui pouvaient utiliser les voies classiques de la SNCF (Société Nationale de Chemins de Fer) qui ont été préférés.
L’air comprimé peut être qualifié de ligne de force technologique. Elle se caractérise par un ensemble de méthodes et techniques qui ont en commun un processus spécifique de solution industrialisable. Elle peut progresser si de nouvelles voies technologiques proches ou combinées permettent de lever des obstacles à son développement. Le coussin d’air fait partie de ce développement. Inventé par un ingénieur britannique en 1952, le premier aéroglisseur sur terre et sur mer connaît un succès mitigé. La société Bertin innove avec un aéroglisseur à jupe souple qui lui permet de circuler sur des terrains inégaux et en mer et relance la technologie. L’aéroglisseur était un gros consommateur d’énergie. Il assurera une liaison transmanche régulière en 25 minutes entre 1970 et 2000 avant d’être abandonné.
En 2013, Elon Musk aux USA relance le projet d’un train à haute vitesse, « Hyperloop », qui utilise un tube à basse pression et le coussin d’air. Le coussin d’air sera remplacé par la sustentation magnétique. En 2016 la société Spacetrain tente de relancer un projet d’aérotrain à coussin d’air plus performant. Elle échouera faute de financement.
Une ligne de force technologique peut échouer dans son développement. C’est le cas lorsqu’elle rencontre une barrière contextuelle qui intervient pour stopper le développement technologique. Par exemple, le coût de l’énergie nécessaire au fonctionnement, l’infrastructure qui n’est pas compatible et nécessite une adaptation trop coûteuse, le coût financier de substitution de l’ancienne technologie vers une nouvelle technologie, l’impact négatif écologique qui se heurte à la réglementation ou à la population, le risque sanitaire potentiel, ….
Une forme particulière de barrière contextuelle peut être lié à ce que les économistes appellent « l’externalité de réseau ». L’utilité (sa valeur d’usage) d’un service et de son support technique augmente seulement s’il existe simultanément un nombre important d’utilisateurs du service. C’est le cas du téléphone qui n’a d’intérêt que s’il y a de nombreux abonnés ou d’un réseau social. C’est le pari de nombreuses applications comme Linkedin, un réseau social professionnel dont la valorisation grandit avec le nombre d’utilisateurs. Cela est également le cas pour les jeux vidéo sur internet qui n’ont de valeur que s’il existe des joueurs en ligne.
La barrière contextuelle peut également être psychologique ou culturelle à la source même de l’invention. L’industriel qui ne croit pas dans la nouvelle technologie est une histoire classique. Il met en avant la prudence et le moindre risque économique. Il justifie son attentisme par des profits existants encore pour longtemps. La barrière peut résulter simplement d’une demande trop faible pour constituer un marché rentable.
En 1977, un enseignant, a proposé à ces étudiants en gestion un cas d’école qui s’appelait « la voiture à eau ». Dans un premier temps, il s’agissait de tester pédagogiquement le cas auprès d’un petit groupe comme c’était l’usage. Le but du cas était d’envisager les chances de succès de ce véhicule sur le marché automobile. Bien que provocateur, derrière le titre, il y avait en fait le développement d’une voiture à hydrogène non polluante car rejetant de l’eau. La voiture à hydrogène transforme le dihydrogène et le dioxygène en pile à combustible (1832) qui fournit une énergie électrique (et non mécanique) en rejetant de l’eau.
Le travail des étudiants a été intéressant à plus d’un titre. Dans un premier temps, la plupart n’ont pas considéré qu’il s’agissait d’un cas d’école sérieux parce que trop éloigné de la réalité du moment. Il leur paraissait acceptable simplement comme exercice de style. Par ailleurs, le travail demandé n’étant ni financier, ni industriel, l’objectif s’est concentré sur l’acceptance par le public à un coût supposé compétitif à terme (sans considérer le coût plus élevé de départ) et à envisager les arguments et actions développées par les concurrents pour protéger leur marché.
Le résultat final a été surprenant car de nombreux étudiants ont été d’abord soucieux de développer un ensemble d’arguments déniant l’idée qu’une voiture propre non polluante était un argument de vente. Dans un deuxième temps, ils ont développé plusieurs arguments négatifs soit en mettant en avant la faiblesse des infrastructures permettant le rechargement, soit l’absence d’intérêt technique devant les progrès de la motorisation de plus en plus économique et de plus en plus propre chez les fabricants d’automobile, soit en mettant en avant le coût nécessairement plus élevé dans la phase d’introduction sur le marché ou encore plus simplement soulignant une perception négative dans l’opinion d’une utilisation dangereuse de d’hydrogène, et enfin un conservatisme sociologique important des acheteurs potentiels. Très peu ont envisagé que des industriels pourraient choisir de développer cette technologie à hydrogène. Aucun n’a suggéré qu’elle pourrait être une concurrence sérieuse de la voiture électrique (utilisant des batteries) et que la vague écologiste s’amplifierait au point de modifier les choix du secteur automobile.
Il faut constater que leur point de vue était justifié. La pression écologiste peine à modifier les habitudes et, 40 ans plus tard, la voiture à hydrogène comme la voiture électrique est très loin de dominer le marché (moins de 5%) même si les prémices d’un développement semblent se dessiner et montrer quelques signes annonciateurs.
Jules Verne exploite l’invention technologique, en fait une description qui vulgarise l’invention mais ne se soucie pas de la barrière contextuelle. Il fera de même dans la plupart de ces autres romans.
Quelles sont Les inventions primaires en 1860 ?
Recherchons les inventions techniques primaires qui existent ou préexistent en 1860 et que nous retrouverons en 1960. L’époque est très riche en découvertes et inventions avec une accélération certaine au 19ème et 20ème siècle. Nous n’allons pas y arriver car elles sont trop nombreuses mais donnons quelques exemples de cette richesse inventive.
Ainsi la voiture « automobile » semble répondre à notre définition d’invention primaire existante dans les années 1860 et suivantes. Elle existait sous une forme initiale de machine à vapeur. La première automobile à vapeur était un fardier pour tracter les canons (Cugnot 1769). En 1863, Etienne Lenoir fait rouler sur 11 kilomètres, une hippomobile avec un moteur à gaz de houille. Durant cette période, l’invention de Siegfried Marcus (1864) propose un premier modèle de moteur à essence. Il faudra attendre 1880 pour que l’automobile se dote d’un moteur à explosion.
Jules Verne cherchait à connaître le détail des inventions que les diverses revues décrivaient. Nombreux sont celles qui ne furent jamais commercialisées ou exploitées mais c’était une source pour l’écriture de ces romans. Il reste essentiellement dans le domaine de la mécanique concernant l’air, la terre et la mer.
Il a ainsi pioché dans les écrits de l’époque sans semble-t-il chercher une méthode générale de prédiction du futur mais plus pour produire un état de l’existant qu’il pourra retenir. On ne sait pas s’il était au courant du projet de voiture à essence de Siegfried Marcus (1864) mais dans le même temps, Il cite la machine de Lenoir (p20), moteur à explosion à 2 temps alimenté par du gaz de houille. Elle a fait l’objet d’un brevet en 1860 et roulera en 1862.
De nombreuses inventions primaires que l’on retrouve en 1960, auraient pu être incluses dans son manuscrit. On peut en citer quelques unes (sans ordre particulier).
L’invention de la machine à coudre (Thimonnier, 1830 - Singer 1851).
Le télégraphe électrique. Il sera perfectionné et la transmission de messages et de dessin est déjà en route en 1860.
La photographie, perfectionnée depuis l’invention de Niepce 1826 et de Daguerre 1839.
L’ampoule électrique à incandescence, avec l’invention de Lindsay en 1835.
Le lave-linge fait déjà l’objet de plusieurs brevets Schaeffer (1767) Briggs (1797).
La télévision sera d’abord inspirée du pantographe de Caselli dès 1856.
La machine à faire du froid connaît déjà plusieurs réalisations (Perkins en 1835).
Le mortier armé (joseph – louis Lambot brevet du ferciment en 1855) précurseur du béton armé et du béton préfabriqué.
Cette liste est loin d’être exhaustive et plus d’une centaine pourrait être ajoutée. De nombreuses autres recherches en cours 1860 se concrétiseront quelques années plus tard par des développements techniques. Citons en exemple, la radio (qui reposera sur des ondes électromagnétiques appelées ondes Hertziennes du nom de Hertz -1877), les rayons X (1895), l’avion à moteur (1890) mais faisant l’objet de recherches bien avant, la bouteille isotherme (1893) plus connu par la commercialisation de l’invention par les établissements Thermos), l’ordinateur (prolongation des machines programmables et calculateurs, Babbage 1833), …
Jules Verne peut alors essayer d’utiliser cette invention primaire et faire jouer son imagination pour qu’elle puisse être intégrée dans un scénario réaliste et généralisable. Il peut également croiser cette invention avec une autre existante ou potentiellement existante. Pour se faire, il s’autorise à éliminer certaines barrières technologiques ou faire abstraction de certains obstacles qui demeurent mais qui semblent accessibles à la science ou à la réalisation industrielle (production technique de masse susceptible de trouver un coût abordable en face d’une demande conséquente). Selon les analystes de Jules Verne, les erreurs scientifiques ou les incohérences techniques sont également courantes dans les romans que Jules Verne écrira par la suite.
Dans sa méthode, Il va généraliser et prolonger certaines technologies existantes. Cela deviendra une ville équipée de lanternes électriques à filament, ou encore un système de télégraphie, une automobile avec moteur au gaz, un chemin de fer métropolitain en hauteur sur charpente métallique, des machines à calculer complexes, une force motrice de traction à air comprimé, etc...
L’invention primaire est elle-même souvent dépendante d’une découverte scientifique et de ses applications. Il est difficile de projeter le moment du passage du concept scientifique à la technologie et son champ d’application. Les applications dérivées peuvent se chiffrer par million. Dans ce premier roman, Jules Verne ne s’aventure pas dans ce domaine mais ne retient que des inventions primaires connues à son époque. Il sera précis et documenté et pourra appuyer ses propos avec des calculs et autres démonstrations.
JV aurait-il pu inventer le train à sustentation magnétique ? oui
Il a utilisé l’aimantation pour tracter un train. Il aurait pu imaginer que l’on maîtrise l’aimantation répulsive et l’appliquer pour obtenir la réduction des frottements. Le besoin de locomotion était là, l’invention primaire et la ligne de force technologique (électro aimant en 1825 – William Sturgeon) également mais la ligne de force technologique répulsive probablement loin des préoccupations industrielles à cette époque.
La sustentation d’une masse comme un train était probablement trop peu crédible pour être une piste imaginaire sérieuse. Il faudra attendre 1914 (Emile Bachelet) et 1922 (Hermann Kemper) pour que les recherches sur le train à sustentation magnétique fassent l’objet d’attention et de recherches.
Par la suite, de nombreux essais vont aboutir à la mise en service de trains à sustentation magnétique en Allemagne et au Japon.
JV aurait-il pu inventer le smartphone ? oui.
Il s’agit d’un concept évoqué dès 1852, Charles Bourseul décrit les grands principes du téléphone. La télégraphie existe y compris la télégraphie photographique (cité par Jules Verne, p20), le concept répond à des besoins primaires, au moins pour les militaires, ce qui sera plus tard le premier accélérateur contextuel du développement d’Internet. Il est possible alors de faire une première projection imaginaire qui est basique : un téléphone sans fil capable d’émettre et de recevoir le son et l’image et que l’on peut tenir dans sa main ; mais l’espérance de réussite de cette technologie est encore faible en 1860 car l’invention du téléphone piétine en Europe. Il était toutefois possible d’imaginer de nombreux produits dérivés, sans pour autant prédire ceux qui vont avoir du succès.
JV aurait-il pu inventer la photographie couleur ? oui.
Entre 1840 et 1860, des essais sont réalisés sans validation des procédés La première photographie couleur utilisant le procédé de Maxwell fut réalisé par Thomas Sutton en 1861. Elle est encore loin d’être technologiquement d’une qualité suffisante mais elle traduit bien la tendance à chercher des solutions pérennes et à lever les obstacles technologiques.
JV aurait-il pu inventer le Laser ? oui.
Le concept d’amplification de la lumière est évoqué à cette époque. Dès 1822, a lieu une expérience au sommet de l’arc de Triomphe ; une lumière produit par l’électricité est vue à 32 km (on utilisait des charbons pour produire un arc électrique). Pour cela, les lentilles de Fresnel (un physicien français) vont concentrer la puissance la lumière. L’émission d’un faisceau lumineux directionnel, reste une préoccupation pour la sécurité maritime et un progrès possible dans la conception du phare maritime. L’accélérateur contextuel est bien là mais la ligne de force technologique ne débouche pas à cette époque.
La théorie corpusculaire de la lumière domine. Si Maxwell a bien en 1865 émis une théorie ondulatoire qui sera confirmée, il faut attendre 1917 pour que la théorie quantique précise la notion de quanta de lumière connu à partir de 1926 sous le nom de photon. Il faudra attendre 1960 pour produire un pinceau de lumière par émission de photons en grand nombre et de même direction. Cet instrument va être la source d’une nouvelle ligne de force technologique.
Jules Verne aurait-il pu imaginer que l’énergie lumineuse puisse découper avec précision une pièce de tissu ? Non, car la lumière en 1860 se conçoit intellectuellement dans un contexte d’éclairage (voir) mais pas dans le contexte de force (découper).
Il est facile de multiplier cette approche tant est riche le progrès technologique de l’époque. En ce sens, devant tant d’abondance, Jules Verne a l’embarras du choix pour un roman d’aventure éducatif. C’est l’objectif qui figure dans son contrat. Il va illustrer le futur plus que le prédire.
Quelles sont les limites de la méthode de l’auteur ?
Dans son roman, en 1960, Paris brille par ses 100 000 lanternes électriques qui utilisent le mercure sous haute pression, procédé inventé par le britannique Way en 1860. Les 20 000 becs de gaz de 1860 sont devenus des lampadaires électriques à vapeur de mercure en 1960.
En fait, c’est en 1910, que les lampadaires électriques succèdent aux réverbères à gaz. Ce sont les ampoules à incandescences (et non à mercure) utilisant le processus inventé par Edison (1879). Les réseaux électriques à courant continu vont se développer dans les grandes villes. Toutefois, c’est le courant alternatif qui permettra le transport à grande distance en évitant les chutes de tension (Tesla, 1888). Cela va permettre cette substitution de masse. En 1960, il y a environ 48 000 points lumineux à Paris. Les derniers réverbères à gaz disparaissent.
En fin de compte, Jules Verne exploite l’invention qu’il repère et en fait la route principale du futur. Il ne cherche pas à construire un arbre de progrès technique et les grappes d’invention qu’il peut générer. Ce n’est pas le but. L’invention sélectionnée est une réalité intemporelle. Les découvertes scientifiques et techniques qui vont se succéder ne peuvent modifier ce scénario linéaire.
Jules Verne exploite assez peu le processus de fertilisation croisée. La fertilisation croisée scientifique et industrielle n’est autre qu’un puzzle d’inventions et de découvertes ayant leur origine dans les inventions primaires. Leur combinaison fait progresser plus rapidement à la fois la science et la technique. On notera cependant une évocation de la transmission d’images par le téléphone. Il combine ainsi l’invention du téléphone (1861) et du daguerréotype (1839).
De même, l’auteur envisage peu les ruptures technologiques nouvelles qui pourraient survenir dans les cent ans à venir.
Une rupture technologique, c’est une autre solution technologique alternative qui s’impose par des résultats supérieurs sur une ou plusieurs dimensions (économique, industrielle, mercatique). La démarche de Jules Verne consiste plutôt à développer en profondeur une technologie existante sans en envisager de nouvelle. Par exemple, le moteur à combustion sera remplacé par le moteur thermique à explosion, ou encore la photographie argentique qui sera remplacé au siècle suivant par la photographie numérique.
L’évolution rapide des découvertes scientifiques et techniques dans la deuxième partie du 19ème siècle va nourrir la projection de Jules Verne. Il fera un choix sélectif en imaginant une généralisation de certaines de ces inventions et en projetant certaines conséquences sur l’environnement urbain.
Il percevra également le développement technique comme impactant les mœurs et la vie sociale, la liberté de parole et de création, l’éducation, les arts et les lettres. Il montrera comment se crée un pouvoir technocrate à travers la nouvelle richesse des banques et autres organismes capitalistes.
JV développe un des scénarios crédibles du prolongement technique. Il ne peut être parfait car les découvertes scientifiques et techniques qui vont se succéder vont modifier ce scénario. De même, sa vision du capitalisme dominateur n’est pas absente des « trente glorieuses « et des oppositions et contre-pouvoirs des organisations sociales. Se projeter dans le futur demande de réunir plusieurs facteurs non seulement scientifiques et techniques mais également industriels, sociologiques, économiques et marchands pour savoir si de telles inventions peuvent avoir un impact sur la société et le mode de vie.
Pa exemple, Sa projection du transport de voyageurs reflète assez bien une vision centenaire des attentes et des besoins d’une société en évolution. Dans les ouvrages qui vont se succéder, il évoquera bien souvent des inventions existantes qui vont se perfectionner comme le sous marin autonome (USS Alligator, 1862, le plongeur, 1863), la machine volante (1842-1870), la projection holographique (fantôme de Pepper, 1862, etc.)
Il décrit sa vision de la société parisienne. Sa vision d’un capitalisme dominateur reflète assez bien l’évolution des courants de pensée de l’après 1860. Par ailleurs, ce n’est pas l’objectif de ces romans d’imaginer les conflits militaires du 20ème siècle et les nouvelles idéologies qui vont se faire jour ainsi que la fin des grands empires et la décolonisation.
Jules Verne ne se contente pas de projeter sa vision du tout technologique mais décrit la disparition du monde littéraire et l’appauvrissement de la relation sociale.
Dans le scénario très pessimiste du monde littéraire en 1960 et plus encore du monde des arts et des lettres qu’il présente, Il n’est plus dans la même démarche. Il projette ses propres frustrations. Il occulte l’impact positif de la technique qui va permettre d’élargir les moyens de conservation et de diffusion de la culture passé. Il écarte le rôle même de la technique dans la création d’une culture nouvelle plus populaire. De même, il n’a jamais envisagé la poursuite d’une forme nouvelle de mécénat envers les arts et lettres qui a toujours été associé à la richesse privée et publique. Quant à l’art moderne (une ligne de force déjà présente à l’époque) et à l’art populaire, il occulte dans sa conscience tout scénario alternatif.
En 1863 c’est la date du célèbre tableau de Manet « le déjeuner sur l’herbe ». Il est le signe d’une rupture avec le courant de l’époque - le tableau sera exposé en 1863 au Salon des Refusés -, et va préfigurer les autres et nombreux « déjeuners sur l’herbe » - comme celui de Claude Monet- qui jalonneront l’évolution historique de l’impressionnisme, de l’art moderne et de la peinture.
Il est clair que de nombreux auteurs de science-fiction procèdent à la manière de Jules Verne par une focalisation sur une ou plusieurs avancée scientifique et/ou technologique. Leur développement dans divers contextes va permettre de créer un roman de science-fiction.
Ainsi Jules Verne était relativement prudent dans la prédiction du futur en figeant à 100 ans l’évolution des technologies en cours. En procédant à quelques substitutions, le scénario d’ensemble n’apparaît pas dénué de bon sens. Il sera en décalage avec la réalité ne serait-ce que parce que le souhait, le désir, le rêve ne date pas la réalisation.
La science-fiction a cet avantage, qu’elle peut combiner dans le désordre chronologique, les avancées technologiques. Ne pouvant dater les évènements technologiques, la prédiction du futur devient une image figée à l’année 1960 qui intègre avec plus ou moins de bonheur les avancées technologiques des cent dernières années. L’accélération des découvertes et inventions depuis 1860 est continue et il devient difficile de prévoir les conséquences de ces dernières. Il n’est pas visionnaire, il est précurseur du genre et recouvre le futur avec plus ou moins de réalisme.
En 1947, l’homme franchit le mur du son à bord d’un avion-fusée ; C’était la première fois. En 1953, utilisant des bouteilles d’oxygène, l’homme atteignait le sommet de l’Everest, le plus haut sommet du monde ; C’était la première fois. En 1969, l’homme mettait le pied sur la lune. C’était la première fois ; En 2012, la sonde voyageur 1, un satellite construit par l’homme est dans l’espace interstellaire ; C’était la première fois. Même si l’usage de la technologie est pressenti dans un monde futur, sa datation reste un exercice de divination.
Jules Verne est romancier et les retombées des inventions ne font pas partie de son champ d’exploration. D’autres records sont indirectement liés à l’évolution technologique. Par exemple, En 2009 l’homme parcourait 100 mètres à la nage en moins de 46 secondes 94 centièmes ; c’était la première fois. Ce résultat est en partie du au progrès des connaissances dans le domaine de la glisse et à l’utilisation d’une combinaison en latex qui sera par la suite interdite pour la compétition sportive. C’est en 1842, que Charles Goodyear découvre le procédé de vulcanisation qui permet de rendre le caoutchouc naturel (latex) élastique. Comment faire la liaison en 1860 ?
L’accélération des découvertes scientifiques et de leur prolongement technologique rapide permet-il encore de prédire avec un horizon de cent ans ? Jules Verne a tenté des prédictions à 100 ans en 1863, Isaac Azimov à 50 ans en 1964 (dans un article du New York Times, il imagine 2014).
Le processus d’Isaac Azimov est similaire à celui de Jules Verne. Inspiré par les prototypes présentés à l’Exposition Universelle de 1964, il en déduit des prolongements et applications techniques qu’il insère dans sa vision de la société de demain.
Curieusement, comme Jules Verne, il va reprendre la technologie de l’air comprimé mais surtout, il donne un cadre, plutôt pessimiste comme Jules Verne. Pour lui, la technologie dominante envahira encore plus la société avec ses conséquences négatives. Il écrit « L’automatisation sera généralisée et le travail laissera place à l’ennui… La psychiatrie sera de loin la spécialité médicale la plus importante en 2014 ». Sensible à la croissance démographique, il construit un scénario d’ensemble inquiétant avec une urbanisation massive. La pression démographique va forcer l’urbanisation croissante des déserts, des régions polaires et la colonisation des plateaux continentaux (sous la mer). Mais il ajoute « La technologie ne peut plus continuer à suivre la croissance démographique ». Dans cet article, Il prédit quelques avancées technologiques qu’il généralise dans le domaine du logement, des transports et des communications, de la nourriture.
Comme Jules Verne, le rapport positif à la nature est en dehors de son scénario « Une pensée qui me traverse l’esprit est que les hommes continueront à fuir la nature pour créer un environnement plus à leur convenance ».
Raymond Kurzweil est un ingénieur, expert en programmation linguistique et en intelligence artificielle. Il est considéré comme un futurologue dans le domaine des nouvelles technologies.
Comme Jules Verne, il prédit que la technologie va dominer le monde ajoutant qu’en 2099, l’homme sera soumis aux machines et que cette soumission à la technologie se fera si rapidement que l'Humanité telle qu'on la connaît sera appelée à disparaître, soit pour céder la place aux machines, soit pour fusionner d'une manière ou d'une autre avec elle. Il était temps que j’écrive ce blog ; mais est-ce bien moi qui écrit ou un cerveau gavé du prolongement de toutes les connaissances accumulées sur Internet ?
Il apparaît clairement que la méthode de Kurzweil est un simple prolongement technologique sans analyse de l’environnement et des obstacles. Il prédit, avec du bon sens, une convergence des technologies nouvelles, les NBIC : Nanotechnologies, Biotechnologies, Intelligence artificielle et sciences Cognitives. Il pose comme principe la soumission de l’humain à ces dernières. Elles ne sont plus des outils qui libèrent l’homme de taches ingrates mais deviennent des addictions qui asservissent l’humain.
Imprégné du développement de l’Intelligence artificielle qu’il élève au rang d’accélérateur contextuel de la décennie, il retient notamment dans ses prédictions la généralisation des voitures autonomes en 2019. Ce ne sera pas la réalité.
En fait, Le concept de voiture autonome est très ancien et date des années 1970’. Il apparaît que la date de 2019, prédit par le futurologue, était très optimiste pour une conduite autonome dans les villes. D’autres évolutions ont été imaginées comme des taxis automatisés qui suivraient les couloirs de bus pour se rendre d’un point à un autre ou des couloirs de circulation pour voitures autonomes électriques. La concernation de l’industrie automobile traditionnelle n’est pas aussi évidente. Elle reste prudente et ne pas s’engager dans cette voie lui permet de retarder la concurrence nouvelle qui arrive sur le marché de l’automobile. Google et Tesla vont-ils remporter la bataille ?
En 2019, La voiture autonome se heurte à de nombreux obstacles juridiques, technologiques (environnement non approprié), psychologiques, écologiques qui n’ont pas été correctement analysés par l’auteur et qui ralentissent son implantation. A Paris, il y a plus de trottinettes électriques qui permettent de se déplacer que de voitures autonomes.
Dans un autre domaine, Il n’a pas tort de dire que le temps passé derrière l’ordinateur va augmenter car c’est déjà le cas. La communication directe interpersonnelle diminue au profit de la communication par intermédiation. Cependant, le nombre de personnes avec qui se réalise une intermédiation est grandement multiplié: : La famille, les amis, les collègues, les membres du groupe d’appartenance pour le sport, les compagnons de loisirs, les autres qui connaissent les autres qui sont des « relations ». La communication est devenue, de facto, multi individuelle.
Certaines de ses prédictions sont surprenantes et purement subjectives. Ainsi, son anticipation pour 2039 que le monde virtuel sera pornographique à 80% reste une projection peu crédible de l’auteur ou tout au moins imprécise dans ce déclaratif (80% de quoi ? du temps passé sur le net ?). Il est plus probable que ce sera le télétravail, la recherche d’information, le télé enseignement, le téléachat qui constitueront le principal contenu regardé sur la toile. La pornographie est source de rentabilité compte tenu des interdits de la société occidentale mais son inventivité reste limitée. La croissance des autres contenus sera plus importante selon moi.
Également, on peut citer cette prédiction de Kurzweil « La menace posée par les agents pathogènes génétiquement modifiés se dissipe définitivement d'ici la fin de cette décennie ».
En 2020, La pandémie COVID19 met à mal l’ensemble de la planète en causant plus de 1 800 000 morts cette année là. Et les scientifiques n’ont toujours pas trouvé de traitement. Seule la vaccination qui permet de produire des anticorps est présenté comme unique solution.
Raymond Kurzweil en voulant dater ces prédictions s’enferme dans un processus difficile à maîtriser. Le principal défaut de ces prédictions reste cependant celle de la domination absolue des nouvelles technologies qui écarterait toute volonté humaine de convivialité et de sentiment émotionnel et néglige l’irrationalité humaine. Or cette dernière est constitutive de la survie du Sapiens. L’insoumission, la tricherie, la malhonnêteté accompagne l’humain. Le hacker sera l’ennemi de l’homme-machine. Qui va gagner ?
En 2020, les prédictions pourraient avoir un sens à l’horizon de 25 ans seulement. Prédire le futur à 100 ans sur la base de la seule technologie devient une aventure très incertaine qui le sera de plus en plus. Ajouter un scénario de projection politique économique et social en fera au mieux une idéalisation bienheureuse ou une apocalypse.
La prédiction reste un parcours d’obstacles à franchir même si l’on cherche à développer une méthode rigoureuse. Les différentes méthodes prospectives qui probabilisent des scénarios contrastés ou encore la méthode Delphi basée sur des experts ne peuvent pas être prises au pied de la lettre. Elles ne sont que des indices du futur.
Le centre de recherche Futuribles s’inscrit dans cette perspective. Il publie en 2020 un rapport (Rapport Vigie) qui se projette à 20-30 ans et expose une vision de ruptures plausibles apportant des transformations majeures. Il part d’une base de 16 scénarios possibles de rupture (et 50 esquisses). Il suggère des routes essentielles en retenant six trajectoires d’évolution mondiale. Prudent, il dresse un vaste panorama mais laisse au lecteur le soin de faire son propre choix.
Prédire le futur nécessite un cadre propice à cet exercice. Jules Verne se devait d’être crédible à la demande de son éditeur et cela explique certaines limites volontaires mais au-delà de ce choix, Jules Verne aurait-il pu imaginer qu’un de ces personnages envoie par téléportation un bouquet de fleur du champ de mars au village d’Auteuil. Pour qu’il l’écrive noir sur blanc, il aurait fallu qu’il franchisse des obstacles sérieux pour faire accepter son manuscrit.
Que faire si :
Le thème retenu n’effleure pas la conscience humaine. Il ne fait pas partie du rêve ou du fantasme, de l’art ou du divertissement et il n’est pas pris en compte dans un quelconque processus technologique à court comme à long terme. Hors de portée de la conscience, il ne peut être décrit. Imaginer pouvoir regarder en ombre chinoise les os de sa propre main sur une plaque photographique (radiographie) était probablement hors du champ de conscience de l’humain en 1860. La découverte du nouveau rayonnement électromagnétique par Röntgen en 1895 était si nouvelle que le scientifique l’appela rayon X. Or le rayon X n’est à la base qu’un jet de la lumière au delà de l'ultra violet.
Les mots, le vocabulaire et les concepts n’existent pas. Et il n’est pas possible de les inventer. Dans le domaine de la science, le vocabulaire fleurit tout autant que les paradigmes. Chaque jour, il faut inventer des dizaines de mots nouveaux. Une bonne partie des nouveaux paradigmes vient des révisions de connaissances acquises par des découvertes précédentes mais comment projeter une littérature futuriste lorsque le nouveau concept n’est pas encore vocabularisé. On pourrait procéder par un imaginaire laborieux en explications mais qui perdrait de son attractivité sauf à le romancer - ce que font les romans de science-fiction-. On pourrait inventer un vocabulaire nouveau mais instable et éphémère s’il n’est pas relayé rapidement par une caution scientifique. La vocabularisation n’est pas suffisante pour construire une prédiction du futur.
Par exemple , un trou noir (Black Hole) est défini comme un objet céleste si compact que l'intensité de son champ gravitationnel empêche toute forme de matière ou de rayonnement de s’en échapper. Ce vocabulaire, propre à l’astrophysique, se diffuse dans les années 60’ soit 100 ans après le roman de Jules Verne. Il fera le bonheur des écrivains de science-fiction et de leur imagination. Il ne débouche pour le moment sur aucune ligne de force technologique et échappe donc à toute prédiction d’une invention technique future. Notons que ce vocabulaire est inventé par les scientifiques mais pas par les auteurs de science -fiction.
Le thème est si peu crédible qu’il est dénié et écarté. Ainsi Wilkipédia indique que le terme téléportation a été documenté dès 1878 en évoquant le transit d’un bout à l’autre d’un conducteur électrique d’un être vivant. Toutefois, cette locution ne fera l’objet d’une utilisation formelle qu’en 1931 comme imaginable et sera reprise dans les romans de science-fiction. La prédiction du futur suppose une ouverture d’esprit. Mais comment savoir si celle-ci ne nous conduit pas dans le champ de l’imaginaire ?
La préoccupation de l’auteur est sélective et donne une vision très partielle du futur. Les raisons de l’auteur peuvent être multiples Ainsi Jules Verne écarte de son champ d’invention technologique le progrès médical et la distribution moderne. Par contre, il introduit le commerce mondial et le transport maritime de marchandises ouvrant un gigantesque port sur la Seine.
La ligne de force technologique est considérée comme allant vers une impasse dans l’horizon de prédiction. Cette dernière affirmation dépend en effet de la conviction de l’auteur. Il écartera toute prédiction à laquelle il ne croit pas. Ainsi Dans un article paru en 1928, l’astronome Charles Nordmann cite les résultats d’une enquête du Daily Mail sur les progrès nouveaux à 30 ans. Parmi ceux-ci, il y a la prédiction de l’envoi d’un projectile propulsé par de la poudre dans la lune par une fusée. Charles Nordmann démontre que cela n’est pas possible en raison du poids excessif de poudre explosive qui serait nécessaire. La réalité sera différente puisqu’en 1968, 40 ans plus tard, la NASA est prête à envoyer une fusée habitée vers la lune et le fera.
Pourquoi est-il si difficile de prédire l’avenir ?
Une invention ou une découverte est associée à un déroulé qui prend sa source dans un besoin humain. Cette conscience du besoin est une première étape qui relève de l’évolution de l’homme pour s’adapter et maîtriser son environnement. Plus la motivation est forte, plus elle débouchera sur des résultats. Mais la motivation humaine n’est pas la garantie d’une prédiction réaliste du futur. Elle est seulement un indicateur de direction Prenons quelques exemples :
Le réfrigérateur domestique : C’est une machine à faire du froid dont rêvait certainement François Vatel (organisateur de fastueux banquets sous Louis XIV). L’homme semble avoir pris conscience de ce besoin, il y a bien longtemps ? On sait que dans l’antiquité, certaines populations transportaient de l’eau dans les grottes en altitude en hiver pour avoir des blocs de glace en été. L’invention du sorbet de glace comme friandise alimentaire remonte également à la nuit des temps avec un mélange de neige et de fruits. Si certains procédés à base de sel existaient déjà pour abaisser le point de congélation de l’eau, si les glacières permettaient de conserver la glace naturelle, la machine industrielle à fabriquer de la glace n’apparaît pas avant la percée technologique du 18ème -19ème siècle. Le principe technologique est daté de 1748 (machine de William Cullen). D’autres machines expérimentales voient le jour durant le 18ème siècle. Une ligne de force technologique va se constituer pour obtenir au 19ème siècle un procédé rentable de réfrigération industrielle. Tout processus de réfrigération comprend au minimum quatre éléments, l’évaporateur, le condenseur, le compresseur et le régulateur de flux.
L’amélioration de cette ligne de force est le résultat de recherches par de nombreux ingénieurs durant toute cette période (arbre de progrès technologique). Avec le même principe technologique ce n’est qu’au début du 20ème siècle que la fabrication industrielle de glaces se substitue au commerce de la glace naturelle et que la réfrigération industrielle prend de l’ampleur. Elle ne s’imposera que lorsque son coût deviendra compétitif (barrière contextuelle) et que l’urbanisation fera disparaître par contrainte architecturale le cellier qui conservait les aliments. (Accélérateur contextuel).
Pour prédire le réfrigérateur domestique en 1960, Jules Verne aurait dû soit maîtriser ce déroulé soit considérer que dans la liste des besoins ménagers dans un Paris urbanisé, la machine domestique à produire du froid et des glaçons allait devenir un équipement accessible et indispensable. C’est beaucoup.
Le fer et le ciment : Qui va l’emporter dans le futur ? Le ciment est un liant hydraulique qui agit comme une colle entre grains de sable ou granulats. Son industrialisation date en France des années 1830 (famille Pavin de Lafarge) après les progrès dans la maîtrise de l’hydraulicité (Louis Vicat en 1818) et l’invention d’une recette industrielle - le ciment Portland par Joseph Aspdin en 1824-
Dans le même temps, l’ingénieur Gustave Eifel se fait connaître en 1858 avec la passerelle de Bordeaux qui est une grande passerelle ferroviaire de 500 m en charpente métallique. C’est le début du succès qui ne fera que s’amplifier.
Il existe donc là deux lignes de force technologiques qui permettaient à Jules Verne d’imaginer Paris en 1960. JV décrit bien l’accélérateur contextuel du besoin de construire en hauteur des grands immeubles et des grandes passerelles dans un milieu urbain de haute densité. Le ciment et le fer étaient connus des grandes civilisations mais avec le développement du peuplement, de l’habitat et des transports, le besoin de construction se développe. Il sera au cœur du futur de Paris.
L’auteur fait le choix de la charpente métallique qui s’est avéré avoir un développement international considérable. Cependant, une invention nouvelle, le béton armé va modifier le paysage futur. Si on en attribue l’idée à un jardinier (en 1845) qui dépose un brevet sous le nom de « ferciment ». Il sera perfectionné par plusieurs ingénieurs et deviendra une alternative à la pierre naturelle dès 1920.
En 1960, on peut estimer que deux tiers des constructions utilisent le béton de ciment à la place de la pierre naturelle. Ce nouvel environnement architectural n’a pas été retenu par JV.
Dans le mécanisme de vision du futur de JV, certaines options sont privilégiées. On peut généraliser ce mécanisme de pensée sélective et dire que les scénarios de prédiction du futur dans leur processus simple relèvent du système électif de l’auteur. Lorsqu’il existe deux routes technologiques, prédire le futur devient beaucoup plus complexe.
Dans ces cas à plusieurs scénarios, Jules Verne interroge les experts, les savants de l’époque pour mieux connaître et comprendre la technique mais c’est lui qui retiendra le scénario dans sa vision du futur. C’est lui le futurologue et non les experts. Il exclut la date d’arrivée de nouvelles technologies qui pourrait venir modifier en profondeur le scénario qu’il a retenu. Ce choix n’est pas celui d’un scientifique qui doute mais celui d’un écrivain qui prédit la vision du futur à un moment daté de l’histoire.
JV a privilégié le gaz d’éclairage (gaz de houille) comme combustible (initié en 1804) pour le développement des moteurs de voiture à combustion qu’il appelle les gaz-cabs. Un moteur à deux temps est réalisé par Etienne Lenoir en 1859. A cette période, le pétrole a bien été découvert, mais il faudra attendre l’invention du carburateur par Siegfried Marcus en 1865 et le brevet de Rudolf Diesel en 1892 qui va donner une autre solution technologique pour enflammer le carburant par auto-compression.
La ligne de force technologique du moteur à combustion a bien été identifié par JV mais il n’explore pas les branches de l’arbre de progrès technologique qui se succèderont quelques années plus tard. Dès cette époque, il aurait pu imaginer un moyen de transport individuel avec un moteur thermique sans pour autant pouvoir imaginer avec précision les caractéristiques de la voiture qui circulera en 1960. Il aurait pu en dessiner une vague silhouette sans en déterminer les perfectionnements et la vitesse de circulation. Soyons honnêtes. Comment aurait-il pu imaginer une Alpine de Renault dépassant les 200 km/h et atteignant les 100 km/h en moins de 5 secondes. Assurément, La compétition sportive est un accélérateur contextuel. JV ne l’évoque pas. Elle permet de valoriser les inventeurs et d’inciter à innover technologiquement. En 1895, Paris-Bordeaux-Paris sera la première compétition automobile.
Etudier la liste des découvertes et inventions, qu’elles soient majeures ou dérivées, entre 1860 et 1960 est une tache impossible car c’est par milliers qu’il faut compter. Pourquoi sont-elles si nombreuses ? La réponse est mathématique.
Il existe un jeu de loterie qui tire au sort un numéro gagnant Ce jeu vous demande de choisir 5 numéros différents et 2 chiffres additionnels. Il s’appelle Euro millions et comporte 116 millions de combinaisons différentes. Vos chances de perdre seront la règle. A l’inverse, vous souhaitez inventer une nouvelle recette pâtissière que personne n’a encore inventé. Je vous garantis que cette-fois ci, vous serez gagnant à coup sûr. De la farine, du lait, de l’eau, du sucre, de l’œuf sont 5 éléments qui vont vous permettre de réaliser mille et une recettes si vous avez un bol pour le dosage désiré, une fourchette et une cuillère, de la chaleur et du temps. Plongez-vous dans votre livre de cuisine et vous serez surpris du nombre de recettes déjà inventées sur cette base. Je ne sais pas si la votre sera comestible.
Un survol de la genèse des découvertes et inventions nous permet de dresser également plusieurs constats.
L’invention de l’instrument ou de l’outil fait intégralement partie du processus de découverte scientifique. Nous distinguons l’outil qui a pour but de fabriquer et l’instrument qui a pour but de voir, mesurer, calculer, … Il permet de transformer l’observation en information intelligible.
Une revue des instruments nouveaux du XVIème et XVIIème siècles associés aux découvertes montre que l’un ne va pas sans l’autre. La lunette astronomique, le microscope, le chronomètre de précision, le thermomètre, le baromètre, l’anémomètre, l’électromètre, le gazomètre, la balance de précision et bien d’autres ont été indispensables pour valider les découvertes scientifiques. Lavoisier n’aurait pu établir ses lois sans la fabrication d’instruments de précision.
La quasi-totalité des instruments se lisent et s’interprètent par la vue. Le son lui-même est transformé en ondulation visualisable. Le mouvement, l’odeur, la couleur également. Au moment de la Renaissance, une grande partie des instruments étaient liés à l’optique et à la mesure métrique et astronomique.
L’outil mathématique accompagne également le développement scientifique. Outil car c’est lui qui permet un langage descriptif commun des phénomènes physiques.
Ce langage développe une logique propre et des applications concrètes. Par exemple, calculer une surface relève des mathématiques et son utilité est incontournable pour établir un cadastre depuis l’antiquité. Le théorème de Pythagore a certainement évité des rixes mortelles entre voisins. L’outil mathématique gagne en puissance quand il s’appuie sur un instrument spécifique dédié aux calculs. La machine de Pascal (Pascaline 1645) en est un exemple car elle visait à faciliter les calculs. C’était donc plus un outil qu’un instrument scientifique.
Le cas de la machine de Pascal est intéressant car elle n’eut pas vraiment de succès auprès des potentiels utilisateurs (comptables, intendants, commerçants,). Elle devra franchir plusieurs obstacles techniques pour permettre sa démocratisation. Elle utilise des inventions connues comme la roue dentée ou le cliquet. Elle adapte le sautoir (une pièce mécanique spécifique) pour résoudre le problème de la retenue. Sans accélérateur contextuel, Il faudra attendre plusieurs siècles pour que la calculatrice devienne d’usage plus courant en dépit de perfectionnements apportés par d’autres inventeurs.
En 1963, apparaît la première calculatrice électronique entièrement transistorisé; Il faudra encore attendre les années 1970’ pour que la calculatrice électronique de poche se développe et s’impose petit à petit dans le domaine éducatif.
La règle a calcul, inventée en 1620, après l’invention des logarithmes modernes en 1614 par John Napier, est devenue une relique familiale. Elle a pourtant été l’outil de calcul le plus utilisé pendant plus de 350 ans. Sa précision était suffisante dès lors que son graphisme était de qualité. Elles étaient encore en usage en 1960.
Prédire le futur, c’est également prédire les nouveaux instruments et outils qui participent aux découvertes et inventions. Cela se complique…
Vouloir prédire les technologies futures est-il un dogme passéiste ?
La durée de vie s’allonge. Une personne qui naît en 2020 aura plus chances de contribuer plus longtemps à cette accélération et de connaître des technologies inconnues au moment de sa naissance. Il est donc probable que cela va produire très tôt chez l’enfant une accoutumance rapide au progrès technique. Mon grand père ne jurait que par l’apprentissage que lui avait donné ses compagnons dans la fabrication des clarinettes. Mon fils ne jure que par l’éducation en ligne qui lui permet de comprendre le monde et les évolutions de son métier de base.
En 1963, le stylo bille était interdit dans les écoles mais il était déjà utilisé dans les maisons. Il faudra attendre septembre 1965 pour qu’il soit autorisé à l’école. En 1963, La détention d’un téléphone mobile personnel et d’un ordinateur portable personnel par les adolescents n’est pas, technologiquement, d’actualité. Le téléphone mobile professionnel se développe en 1983 aux USA puis en France. Deux générations plus tard, cela ne fait plus débat et le smartphone est devenu un compagnon indispensable dès le plus jeune âge. Voir une promotion publicitaire pour vous inciter à équiper votre jeune enfant d’une montre connectée est une chose qui étonne de moins en moins en 2020.
L’environnement matériel est de plus en plus indispensable à la vie en société. La nostalgie du monde ancien et le besoin de spiritualité ne disparaîtront pas car ils font partie du mode de vie humain. Ils participent à accepter le futur. Cependant, l’assistance matérielle de nature technologique ne fera que croître. C’est l’acceptance de la population qui va guider les routes technologiques. Acceptance ne veut pas dire domination.
Rétrospectivement, Il est encore difficile de déclarer quel a été l’impact dominant du progrès technologique au XXème siècle. Il aura fallu plusieurs siècles pour reconnaître la portée de l’invention du papier puis plus tard de l’imprimerie mais était-ce bien les deux inventions qui expliquent les siècles passés ?
Le progrès médical a certainement profondément marqué le XXème siècle. Par exemple, la découverte du premier antibiotique antiparasitaire par Fleming en 1928, une découverte parmi une centaine d’autres dont l’impact a été considéré comme essentiel. L’histoire est un peu plus complexe car dès 1897, un médecin français avait observé le rôle d’un champignon penicillium sur la moisissure Escherichia coli. Il faudra également attendre 1945 pour que l’antibiotique puisse être produit en quantité de manière stable.
Pour certains, l’importance du nucléaire est à souligner, à la fois par la production d’une énergie propre en quantité et par la production d’une arme redoutable qui aurait contribué à pacifier le monde. Je le répète, mais seuls les historiens pourront sans doute faire le tri.
Durant cette période, il y a d’autres progrès d’importance dans les domaines de l’agriculture, de la construction et du logement, des transports et des communications, de la conquête de l’espace et de l’astrophysique. N’est-ce pas illusoire de mettre en avant une invention plutôt qu’une autre ? Celui du premier quart du 21ème siècle sera sans doute celui de la digitalisation, un progrès transversal qui couvre l’ensemble des domaines que nous venons de citer. Mais que nous réserve le deuxième quart !
Doit-on renoncer à prédire l’avenir ?
Oui, si l’on considère que l’accélération du rythme des inventions ne permet plus une projection dans le temps suffisamment longue pour stabiliser un cadre de vie probable. Oui, car une invention ne vaut souvent que par sa mercatique (entendons par là l’existence d’une demande correspondante, d’un marché rentable). C’est également la ringardisation rapide de l’invention dans son horizon de banalisation ou d’innovation rapide. Ce que l’on appelle la Hard SF, basée sur des technologies et des évolutions de société vraisemblables, n’est plus un genre littéraire qui surprend le lecteur.
Non, si l’on déroule la fiction par un petit bout et qu’on amplifie la séquence pour en faire un univers improbable et qui va entrer dans la fiction. La romance et le fantastique prennent le pas sur la SF qui reste alors un prétexte à l’imaginaire. La science-fiction est- il un genre littéraire en voie de disparition au moment où les inventions explosent et les brevets se déposent à la pelle ? Non, l’imaginaire fait partie de l’humain.
En fin de compte, JV était un précurseur de l’aventure fiction. Sa prédiction de l’avenir à long terme garde plus de cohérence que celle que l’on pourra observer aujourd’hui.
Ne soyons pas négatif et tentons à notre tour de trouver une méthode pour améliorer la prédiction du futur. Courage…
Peut-on définir un meilleur processus de prédiction du futur ?
Tout d’abord, clarifions notre vocabulaire et posons-nous la question sur le rôle du hasard dans les évènements du futur.
La découverte résulte d’une prise de conscience humaine de la relation entre un phénomène naturel (ou plusieurs phénomènes naturels) qui permet de comprendre une problématique dont on cherche la solution (ou dont on prend conscience en même temps que la relation). L’invention est un construit volontaire qui est en relation avec une finalité que l’on peut définir ce qui la différencie de la découverte.
Ainsi, la radio activité est une découverte tout comme la dérive des continents alors que le microscope à balayage électronique est une invention. Il arrive souvent que l’invention provienne de l’application d’une découverte. Cependant la date de l’invention peut être beaucoup plus tardive que la date de la découverte. On appellera innovation, le fait de renouveler ou d’améliorer une création existante.
Le hasard en matière de découverte ou d’invention est souvent le résultat d’un état de vigilance cognitive liée à une problématique qui perdure. Le hasard sera alors associé à une conjonction d’évènements fortuits qui révèlent la découverte ou permettent l’invention.
La découverte ou l’invention peut être le fait du hasard mais son exploitation et sa diffusion seront le reflet d’un contexte historique humain. Certaines sont abandonnées ou restent dans l’ombre, d’autres peuvent survivre si elles évoluent.
Le développement d’une ligne de force technologique est la première étape qui suit la découverte ou l’invention.
A la découverte scientifique et à l’invention ne succédera une ligne de force technologique si celle-ci répond effectivement à des besoins identifiés. Plus le besoin est primaire et non satisfait, plus la motivation au développement technologique sera forte. Ces besoins peuvent être partagés par un groupe, une société commerciale, une nation.
Une ligne de force technologique se développera sous la pression de besoins comme ceux-ci : chercher la suprématie militaire dans le domaine de la défense ou de l’attaque ; Cela conduit au développement des drones militaires (depuis 1944) par exemple. Ou bien, la transformation de la société avec le développement du tourisme d’hiver ; Par exemple, les téléfériques de montagne (1908) et autres remontées mécaniques (téléski, 1934), les canons à neige (1960 en France), vont répondre à ce besoin de loisir. Ou bien encore, une nouvelle formule d’achat qui relativise l’importance du vendeur et permet de satisfaire plus rapidement le besoin d’obtenir un bien de consommation ; Par exemple, les distributeurs automatiques alimentaires ou les plates-formes numériques de vente en ligne peuvent remplir ce rôle. On pourrait également imaginer pour la prochaine décennie un nouveau système de distribution postale avec des robots mobiles qui communiquent par la parole et qui apportent le courrier à domicile.
Cependant, ce prolongement technologique se heurte à un changement contextuel, la baisse drastique du courrier postal en raison du développement des messageries numériques gratuites. Un modèle économique chasse l’autre. Les exemples sont aussi nombreux que les très nombreuses expressions des besoins qui évoluent en permanence.
On voit bien alors qu’il est extrêmement difficile de prévoir l’emprise qu’aura la ligne de force technologique, son parcours et son étendue mais également la transformation du milieu et la création d’un nouvel environnement qui trace une nouvelle route technologique.
Prenons l‘image que l’on peut conserver, celle qui est un souvenir comme celui de son mariage. La technologie s’est appuyée longtemps sur la photographie argentique puis sur la photographie numérique. Mais la véritable révolution a été celle de la communication de l’image, à tout le monde et à tout moment. Image qui remplace le langage écrit en devenant vidéo, un post sur Youtube (plusieurs milliards de vidéos vues chaque jour). La photo numérique au lieu et place de la photo argentique n’est pas simplement une alternative technologique qui conserve le concept de la photographie. Il modifie le scénario du futur en créant un nouvel environnement contextuel avec un impact social spécifique.
Mais même lorsqu’une ligne de force se développe en s’appuyant sur des innovations technologie, il arrive souvent qu’une technologie alternative vienne se substituer à la précédente et modifier en profondeur l’ensemble de l’arbre ainsi créé. Donnons quelques exemples:
Comment permettre l’atterrissage des avions dans des conditions climatiques de brouillard dense ? Le besoin est bien identifié et la motivation forte avec le développement du trafic aérien en hiver. Une première technologie consistera à chauffer le brouillard par des réacteurs (procédé Turboclair) pour qu’il se dissipe. De nombreux aéroports en seront équipés jusqu’à ce qu’il devienne obsolète. Il va être remplacé par un procédé d’atterrissage aux instruments appelé ILS (Instrument Landing System).
C’est également le cas de la transmission de messages à distance. Jusqu’au 19ème siècle, la préoccupation première dans la transmission des messages était d’envoyer un messager soit à pied mais en courant (marathon) soit à cheval avec des relais pour gagner en rapidité sur des longues distances. Le besoin militaire pour savoir par où était l’ennemi était un impératif. La motivation était forte.
Ainsi le télégraphe de Chappe (des bras articulés sur des hauteurs) inventé en 1793 devient indispensable pour communiquer rapidement à distance. Le télégraphe électrique puis par la radio émission deviendra la règle. L’importance d’un moindre temps dans la transmission de l’information devient plus essentielle encore. La technologie alternative prendra le pas sur toutes les anciennes technologies. Le besoin d’information quasi instantané est un accélérateur contextuel non seulement en tant de guerre mais dans aussi dans le cadre de l’économie boursière,de la logistique et des transports.
Inventer une technologie alternative n’est pas une garantie d’un usage de celle-ci. Il peut y avoir plusieurs types de barrières. La barrière technologique en est une bien évidemment. Ainsi le caoutchouc synthétique inventé au début du 20ème siècle n’a jamais pu totalement se substituer au caoutchouc naturel pour les équipements pneumatiques ; le latex représente 40% de la production. D’autres barrières existent : Par exemple, la barrière du rendement capitalistique. L’investissement réalisé par les actionnaires impose aux sociétés de récompenser ces derniers en privilégiant le rendement financier de leur investissement au lieu d’une éventuelle prise de risque dans une nouvelle technologie, La barrière écologique, qui peut faire obstacle à l’exploitation d’une nouvelle filière comme celle des gaz de schiste. Factuellement, cela rend encore plus difficile de construire un scénario du futur à long terme.
L’arbre de progrès technologique est l’étape suivante qui développe la ligne de force technologique. Les innovations technologiques en grappe qui se succèdent se multiplient et peuvent se combiner avec d’autres inventions. La fertilisation croisée dope le processus. Cette mise en commun peut se faire dans un but industriel et/ou mercantile.
Par exemple, le métier à tisser programmable Jacquard en 1801 regroupe de nombreuses innovations techniques comme les cartes perforées ancêtres de la mécanographie et de la programmation, les cylindres utilisées dans la fabrication des automates. Jules Verne s’intéresse peu à la genèse des inventions mais plutôt à l’utilisation de celle-ci telle qu’elle est.
De nos jours en 2018, la digitalisation ou numérisation informatique et électronique accélère le progrès technique et les usages de ce dernier. L’arbre de progrès technologique de l’ordinateur a été décrit sous forme de générations successives. J’écris sur un ordinateur de 4ème génération mais la 5ème génération est annoncée avec l’ordinateur quantique. La connectique, la robotique sont des résultats de la fertilisation croisée avec cette invention primaire qu’est l’ordinateur numérique (utilisant un système binaire).
Si l’on couple la ligne technologique de l’intelligence artificiel à un système de collecte préalable de photos portraits et d’une caméra, on aboutit alors à la reconnaissance faciale instantanée, un procédé d’abord devenu courant dans les séries télévisées américaines, mais que l’on retrouve à l’Aéroport de Roissy au passage du contrôle automatique des passeports sous le nom de PARAPHE.
De même la domotique connectée et la généralisation du smartphone (et des réseaux) permettent une maîtrise à distance de gestion de son habitation. Toutefois, la domotique à distance semble progresser plus lentement que ne l’annonce les médias. L’ampoule connectée donne une image de modernisme mais son utilité ne s’impose pas.
Il existe de nombreuses filières dérivées d’une invention primaire et il n’est pas facile de déterminer le rôle exact de la filière ; par exemple l’évolution du semi- conducteur sans lequel il n’y aurait pas d’électronique et d’évolution de l’éclairage.
Pour prédire les filières qui vont transformer la société, il faut pouvoir en évaluer les ramifications. Plus celles-ci sont nombreuses, plus il est difficile, d’en prédire l’aboutissement.
Prédire le futur à long terme suppose que l’on puisse savoir combiner l’ensemble des arbres de progrès technique qui vont émerger. Si l’on peut décrire une toile d’araignée, il est difficile de déterminer quand et comment elle s’est construite. C’est le cas avec les progrès techniques. Ils sont très nombreux et leur date et leur impact sur une ligne de force est difficile à apprécier. Ainsi l’écran d’ordinateur a intégré de nombreux progrès techniques depuis l’invention du tube cathodique mais il faudra attendre un progrès technologique majeure, l’écran plat à cristaux liquides (inventé en 1971, industrialisé en 1985) pour voir se diffuser à grande échelle l’ordinateur portable en combinaison avec d’autres arbres de progrès concernant le stockage des données, les systèmes d’exploitation, les logiciels de traitement, les systèmes de connexions électroniques, ….
Mais même si l’on peut dresser plusieurs scénarios de combinaison sur la base des arbres de progrès technique, lequel choisir ? Lequel va s’imposer ? Lesquels vont se combiner ? La probabilisation n’apportera pas un éclairage suffisant car l’affectation d’un coefficient de probabilité à chaque invention potentielle conduira rapidement à une dilution des chances que celle-ci se réalise. Il faudrait ajouter un autre coefficient de valorisation affectée à la combinaison. C’est une limite importante à la prédiction.
Pourquoi certains développements attendus sont-ils hors de portée d’une prédiction datée ? En fait, certains peuvent être imaginés mais sans descriptif daté de la chaîne inventive. Par exemple, aller sous la mer en envoyant de l’air peut conduire à imaginer une machine portable qui contient de l’air, reliée à un tuyau. Cette recherche existe depuis l’antiquité. Différents systèmes depuis cette période ont abouti à de nombreux systèmes dépendants d’une pompe à air, puis au scaphandre autonome. L’appareil de plongée de Rouquayrol et Denayrouse servira de modèle dans le roman de JV « Vingt mille lieues sous les mers ». Une succession d’inventions vont permettre d’aboutir au scaphandre moderne après l’invention du détendeur pour réguler le débit de la bouteille d’air comprimé nécessaire au plongeur sous-marin. Issu d’une application pour faire fonctionner les gazogènes de voitures. Inventé et breveté en 1943 par Cousteau et Gagnan, la version commerciale du détendeur CG45 sera breveté en 1945. Cette invention ne relève pas du hasard mais d’une conjonction entre une recherche de solution technique par Jacques- Yves Cousteau qui pratique déjà la plongée pour explorer les fonds marins et le fait que le père de son épouse, évoluant dans ce domaine industriel précis, avait compris le besoin de Cousteau. Il a pu ainsi lui présenter Emile Gagnan qui sera le co-inventeur du CG45.
J’ai eu l’occasion de débuter la plongée sous-marine en 1960. A l’époque, le détendeur utilisé était encore un détendeur à un étage et deux tuyaux beaucoup moins pratique que le détendeur à deux étages et un tuyau apparu en 1957 et perfectionné ensuite. Cette dernière innovation va permettre de vulgariser cette activité. D’autres perfectionnements sont dus à la résolution d’obstacles techniques identifiés : pouvoir compresser de l’air fortement en conservant la qualité, avoir un réservoir suffisamment solide mais léger de grand volume, pourvoir réguler le débit d’air quelque soit la position dans l’eau, utiliser un gilet de compensation pour régler sa flottabilité, utiliser des mélanges gazeux pour descendre en grande profondeur, etc. Toutefois, une telle invention n’aurait pas eu le succès attendu sans qu’un autre obstacle technique ait été levé. Le corps se refroidit rapidement dans l’eau (En Bretagne, elle est voisine de 17° en été) et il est nécessaire de porter une combinaison qui permet de conserver le corps à une température minimum. Si la combinaison isothermique (Beuchat, 1953) est créée dans les années 1950’ Il faudra attendre 1970 pour bénéficier d’une combinaison plus facile à enfiler pour le grand public. Aujourd’hui il existe des milliers de clubs de plongée accessibles à ‘importe quel touriste de passage.
Bien souvent, la difficulté n’est pas la possibilité d’imaginer une nouvelle technologie qui deviendra réalité mais dater l’arrivée de cette technologie. La date d’arrivée d’une technologie conditionne l’arbre de progrès technique et son impact sur son champ d’utilisation. C’est une deuxième limite à la prédiction qu’il faut franchir.
Mais ces deux limites conduisent à une autre difficulté; celle des routes technologiques. La route technologique dépend de l’ordre des inventions mais pas seulement. Un contexte économique peut orienter la route technologique.
Par exemple, la machine à écrire mécanique est une invention relativement ancienne (début du 18ème siècle. Plus récemment, la machine à écrire à ruban encreur (1850) ouvre la voie à une combinaison entre écriture et imprimerie. La machine à écrire électrique (début du 20ème siècle va permettre beaucoup plus tard d’intégrer une mémoire électronique pour stocker des textes ou programmer différentes éditions. Différentes innovations techniques vont offrir des progrès dans l’usage (ruban correcteur intégré, aiguilles permettant des caractères différents,). La machine à écrire va croiser une autre route technologique qui progresse dans la deuxième moitié du 20ème siècle, celle de l’ordinateur, de son écran, de son clavier et de son imprimante. Paradoxalement, l’équipement informatique est plus complexe que celui de la machine à écrire, et il nécessite des accessoires différents. Pourquoi alors ma machine à écrire va-t-elle être supplanté par l’ordinateur ?
La qualité fonctionnelle de l’ordinateur et sa puissance apporte une suprématie sans égal par rapport à une machine à écrire. En absorbant toutes ses fonctionnalités et en les améliorant, il est un outil multitâche d’une productivité supérieure et donc d’un intérêt économique supérieur. La route technologique de la machine à écrire mécanique a rejoint la grande route technologique de l’ordinateur. L’histoire d’IBM, entreprise dominante dans ce que l’on a appelé les « gros systèmes informatiques » a connu une valse hésitation entre le perfectionnement de ces machines à écrire et le développement de petits ordinateurs. Le délai mis à choisir sa route technologique le conduira à abandonner la compétition dans ces deux secteurs. IBM arrête sa production de machine à écrire en1989. La branche des ordinateurs personnels « Personal Computer ou PC » est vendu à une entreprise chinoise, Lenovo en 2005.
L’accélérateur contextuel agit comme un catalyseur et traduit l’émergence d’un besoin partagé et d’une transformation de la société. L’évolution technique n’est pas le fait d’une période où les génies seraient subitement nés mais bel et bien une construction plutôt lente avec certaines accélérations autour de lignes de forces qui peuvent interagir les unes avec les autres.
Prédire le futur, c’est aussi essayer de d’identifier quel peut être l’accélérateur contextuel de certaines inventions et comment son champ d’influence peut s’étendre au-delà de l’invention primaire.
Aujourd’hui, la technologie permet de raccourcir à la fois le temps de collecte de l’information mais également la transmission de données pratiquement en tout point du globe. Suivre en direct sur un écran d’ordinateur à 10.000 km de l’événement le résultat probable des élections d’un président quelques dixième de secondes après la fermeture officielle des bureaux de vote est une réalité.
La technologie va permettre l’accumulation de données (le sondage, les « big data ») la capacité de traitement de ces données par des algorithmes (le calcul statistique, l’intelligence artificielle) et la transmission des données (la kirielle de satellites d’Elon Musk). L’accélérateur contextuel en a été le besoin social de partage et d’appartenance à un groupe et un besoin de vivre plus intensément ce besoin social. La quantité d’information et le temps de transmission de cette dernière ont été le résultat de cet accélérateur contextuel. Ainsi on peut dire qu’un médecin qui fait son diagnostic avec un dispositif de télémédecine est dans la même veine inventive que l’opérateur qui manipule le télégraphe de Chappe à une autre époque. Ce qui fait la différence, c’est l’extension de l’arbre technologique vers des applications qui se sont ouvertes grâce à ces progrès technologiques.
Demain, dans ce domaine, l’accélérateur contextuel peut évoluer vers un besoin d’appréhension plus qualitatif et plus sensoriel (plus complet, plus intense et plus personnalisé). Cela pousse à développer des technologies dans le domaine de l’image et du virtuel, Le 3D devient indispensable, le nombre de pixels augmente, l’écran de télévision devient plus grand, l’ampoule connectée permet le jeu de lumière à la demande, la télévision en 3D sans lunettes (Sony 2020) relance la vision holographique, l’imprimante 3D est déjà dans les bureaux d’architecture.
L’instantanéité émotionnelle des réseaux sociaux par la diffusion de séquences vidéo et d’images déclenchent une réaction parfois massive et importante : Suivre en direct l’évacuation manu militari d’un médecin d’origine vietnamienne à bord d’un avion United Airlines pour cause de surbooking a déclenché une réaction mondiale (avril 2017). La diffusion en 2020 sur les réseaux sociaux, dans l’heure qui a suivi, du meurtre de George Floyd en 8 minutes et 46 secondes fait partie de l’évolution quasi-irréversible du contexte.
Si nous avons correctement identifié ce besoin tendanciel, transporter et matérialiser une émotion personnalisée, alors demain, vous pourrez envoyer instantanément votre bouquet de fleur pour la Saint Valentin. Il suffit de transformer votre imprimante 3D pour qu’elle soit capable de produire au domicile du destinataire votre « sticker » une vignette digitale envoyée par votre messagerie favorite.
Il existe de nombreux accélérateurs contextuels qui servent d’émulation à une technologie. Cette émulation sera souvent un choix de suprématie militaire (avec une veille constante des nouvelles technologies) mais pas seulement. Ainsi la conquête de l’espace a été un puissant émulateur technologique et beaucoup d’inventions en résultent. On peut aujourd’hui anticiper d’autres inventions qui seront liés à des voyages de longue durée dans l’espace.
Identifier l’accélérateur contextuel, à sa source, est indispensable pour comprendre l’évolution de la ligne de force technologique et l’ampleur que prendra l’essaimage. Il n’en reste pas moins que certains obstacles technologiques existent et qu’il est parfois impossible de déterminer quand le blocage sera levé.
Ainsi, les « machines volantes » permettant de se déplacer (hélicoptères, avions, drones) ne sont plus des objets de science fiction. L’idée de machine volante est probablement très ancienne et l’imagination de Leonard de Vinci dans ce domaine est connue. Toutefois, la force motrice non humaine pour faire fonctionner cette machine n’est pas évoquée. Les idées de Leonard de Vinci seront oubliées en l’absence de concept technologique crédible. L’invention de la machine à vapeur va prendre plus d’un siècle avant qu’elle ne soit performante (18ème-19ème siècle). Elle a cassé la barrière psychologique et libéré le génie inventif, conduisant au moteur à combustion et explosion, puis presque naturellement à l’idée que le « plus lourd que l’air » pouvait s’envoler par la force mécanique du moteur (20ème siècle). C’est le besoin militaire (guerre de 1914-1918) qui fut l’accélérateur contextuel.
De même, l’invention de l’hélice est une invention qui a révolutionné la navigation. Comme souvent, l’idée et le principe date de l’antiquité avec le principe de la vis sans fin. Mais là encore, c’est la machine à vapeur et le moteur thermique qui vont conduire à l’utilisation de l’énergie mécanique pour la navigation (dans la première moitié du 19ème siècle). Alors que les bateaux à aube, utilisant la vapeur permettaient une navigation fluviale dans cette première moitié du 19ème siècle, l’hélice bien que faisant l’objet de dépôts de brevets, ne s’inscrivait pas dans une ligne de force technologique privilégiée. Il a fallu attendre le perfectionnement de l’hélice (1836-1840) pour que celle-ci s’impose comme la meilleure alternative technologique. La recherche d’un meilleur rendement va se heurter à un obstacle technologique nouveau, qui n’avait pu être prédit, appelé «la cavitation », un dégagement de bulles, qui peut causer une forte diminution du rendement ou des destructions de l’hélice. Cet obstacle une fois surmonté va permettre des inventions secondaires (par exemple la machine à détartrer les dents qui associe l’ultrason et l’hydropropulsion à haute vitesse).
L’accélération des accélérateurs contextuels. La large diffusion en toutes langues des connaissances de plus en plus scientifiquement avérées participe à la démocratisation des connaissances et un champ alternatif à l’éducation traditionnelle. Le recours grandissant à Wilkipédia, encyclopédie collaborative qui se dit libre de toute attache étatique est une réalité. La mise ne ligne numérique d’archives et de textes de revue scientifiques, la traduction instantanée, les tutoriels postés sur Internet, élargissent encore le champ potentiel des connaissances.
Peut-on évaluer l’’impact des découvertes et inventions ?
La plupart des découvertes ou inventions seront écartées si elles ne sont pas reliées à une tendance, une crise économique, sanitaire, sociale, une menace sociétale, une envie collective, un courant de pensée, …. Ce sont des graines qui n’ont pas trouvées leur terrain favorable pour se développer.
Il est donc délicat d’évaluer l’impact prédictif d’une invention avant qu’elle ne soit mesurable. Prenons l’exemple d’un moulin à vent. Ainsi, on pourrait attribuer une note à cette invention pour sa contribution utile à la nutrition de la population. Hélas, La définition multifactorielle de la note à attribuer reste un problème complexe. On pourrait ainsi donner une note à toutes les inventions qui participent au même but afin de réaliser une moyenne. Mais comment additionner une note qui contribue à la nutrition et une autre qui contribue à la santé par exemple, ou bien encore au loisir (composante du bien être). Par ailleurs, le moulin à vent n’a pas la même utilité nutritionnelle dans un monde où la farine de blé est remplacée par du soja par exemple. Mettons cette piste de côté pour le moment comme outil de prédiction.
Voici une courte liste d’inventions de processus ou de systèmes dans le désordre : la téléphonie, la réfrigération, la photographie, la pasteurisation, la télévision, l’imagerie à résonnance magnétique, l’antibiothérapie, la vaccination, l’horlogerie, l’imprimerie, la Wifi, le GPS, …. D’autres inventions se désignent plus par leurs d’objets fonctionnels (un ensemble de composants) comme la boussole, les lunettes, la roue, la pile électrique, l’ampoule électrique, la charrue, la guillotine, l’ordinateur, la carte à puce, l’hélice, le cadran solaire, la catapulte, le transistor, … … Et parfois ce sont des inventions concepts comme le zéro, l’écriture, le système de protocole binaire, le fort à la Vauban, la cuisine moléculaire, La sélection naturelle de Darwin, l’encyclopédie collaborative….
Une taxinomie (ou taxonomie si vous préférez mais…) de l’invention et de la découverte scientifique comme cela existe en classement des espèces pourrait être un premier domaine à établir. La classification hiérarchique des brevets d’invention est une base de réflexion mais plus pratique que porteur de sens. Bref, le travail semble long pour classer les inventions, les évaluer avec un indice de performance. Encore une fausse piste si l’on prend chaque chaînon de l’invention.
Il peut alors être intéressant de s’orienter vers les grandes ruptures sociotechniques. Ce sont celles qui vont modifier structurellement la manière de vivre dans notre société, Ce n’est pas une idée grandiose mais cela devrait pouvoir se faire si on procède par périodes de 20 ans.
Prévoir les ruptures sociotechniques et les changements structurels qui en sont la conséquence suppose de modifier l’angle d’approche non pas en partant de la technique mais du contexte sociétal au sens large (économie urbaine, logement, travail et emploi, éducation, etc.). Ainsi Jules Verne introduit la densité de population. Elle aboutit à prédire de très grands immeubles avec de petites surfaces et une immense zone urbaine continue, un « Grand Paris » avant l’heure.
Par exemple, les progrès des technologies de communication (la 5G, avec un débit multiplié par 100, est déjà une réalité en 2020 alors que la 3G a fait son apparition en 2000) semblent remettre en cause le besoin de communication présentiel. Aujourd’hui les banques ont amorcé un virage important en repensant totalement la stratégie de développement au plus proche physiquement du public. Plutôt que de multiplier les points de contact, il leur semble préférable de développer pour le futur les techniques de communication distancielle. Ce nouveau statut relationnel n’a pas encore produit toutes ses conséquences. En matière de prédiction du futur, il n’est pas osé de penser que votre conseiller bancaire (homme ou femme) pourra apparaître chez vous dans un cube en 3D lors d’un rendez- vous (il faudra peut-être attendre la 7G dans 20 ans). Il ne sera pas nécessaire de choisir l’agence la plus proche de chez vous mais de suivre la personne d’une agence à l’autre. Et cette personne ne sera présente dans l’agence qu’une seule journée par semaine pour autant que l’agence existe encore et ne soit pas devenue une banque en ligne.
Ce type de projection permet d’identifier les besoins du futur dans un court et moyen terme. C’est pourquoi, un horizon de 25 ans nous semble raisonnable pour prédire le futur.
Ou bien encore, le changement climatique annoncé va entraîner des bouleversements importants. La sécheresse en est avec ses conséquences sur l’élevage, l’agriculture (de nombreux scénarios existent déjà) et plus simplement le besoin d’eau dans les zones urbaines. On peut prédire de nombreuses inventions vont chercher des solutions et même que l’on pourra puiser de l’eau dans l’atmosphère (plusieurs techniques expérimentales existeraient déjà) plutôt que dans la mer.
La pression sociétale (crise du pétrole, pollution écologique et impact sanitaire) ne garantit pas pour autant le progrès technologique. Ainsi la voiture électrique inventée dès 1830 par Robert Anderson s’est rapidement heurtée aux capacités des batteries et à leur rechargement. Aujourd’hui encore (2020), la part de la voiture électrique ne dépasse pas 5% au niveau mondial et celle des véhicules à gaz naturel est inférieure à 4%. Quant à la voiture à moteur nucléaire, elle est une possibilité technique (Ford, 1958) dont l’idée même semble se heurter à une forte barrière psychologique (risque sécuritaire). Elle sera retenue comme solution pour un voyage sur Mars.
L’imagination source de la prédiction du futur : mythe ou réalité ?
On peut tout à fait s’appuyer sur l’imagination pour aider la prédiction du futur si celle-ci se limite à 25 ans. La difficulté sera de déterminer si cette prédiction correspond bien au besoin humain et quand ce dernier sera la source d’un effort pour le concrétiser. Répondre à cette question induit la question : quand pourra t-on avoir la technologie correspondante ? Il nous semble donc que cette piste ne soit pas la bonne si elle n’est qu’un imaginaire fantasque. Par contre, plus proche d’une aspiration trop vaste pour être précise, il est plus opérationnel de s’appuyer sur un processus de créativité associé à celui de résolution de problème.
Le processus de créativité repose sur une libération de l’esprit et un travail collectif en petit groupe d’émulation, La résolution de problèmes permet de cadrer l’explosion des idées en les faisant entrer dans une réalité économique et industrielle. Il est donc possible de multiplier les inventions par un programme volontaire basé sur un programme l’émulation collective, du simple « Brain Storming » à des méthodes beaucoup plus élaborées qui peuvent durer quelques heures ou quelques jours sous la conduite d’un animateur expert. J’ai personnellement pu animer de nombreux séminaires de créativité et constater l’efficacité de la démarche à plusieurs reprises.
On peut également utiliser l’intelligence artificielle et le traitement de données pour faciliter la résolution de problèmes. Par exemple, on utilise l’intelligence artificielle pour trouver des candidats-médicaments aptes à traiter telle ou telle maladie. Cela se base sur l’action moléculaire connue et des fiches de renseignements sur les interactions moléculaires potentielles. On parle d’essai « in silico » mais en réalité, c’est plus un traitement numérique à partir d’une base de données renseignées. L’invention peut être le résultat mais il ne s’agit pas de prédiction du futur.
Un ministère de la prédiction est-il une solution ?
Un ministère du plan est une solution largement adopté sous différentes formes. Cependant ce type de ministère reste souvent un gestionnaire de projets qu’il peut ainsi orienter et favoriser par des subventions. Il s’appuie sur des instituts de recherche qui œuvrent dans la prévision des besoins mais non dans la prédiction.
La certitude de la prédiction du futur diminue rapidement avec l’éloignement dans le futur. Un tel organe exécutif a donc un rôle limité dans la prédiction du futur. La datation tout aussi incertaine d’un évènement futur qu’il soit technologique ou autre consolide ce point de vue. Son utilité se résume alors à un « Think Tank » un laboratoire de conjectures à venir à court et moyen terme.
Actualisation 2020 : La pandémie de Coronavirus en 2019 -2020 a montré que même lorsqu’il y a eu consensus sur une prédiction du futur sans date certaine - Il y aura dans les cent ans à venir- une épidémie mortelle -, cela ne conduit pas à une action d’anticipation spécifique dans la très grande majorité des pays développés. De même, on prédit qu’un astéroïde ou une comète a de fortes chances d’impacter la terre dans le futur sans pouvoir le dater. D’autres évènements critiques peuvent être prédits sans pour autant, mobiliser les gouvernances. La fiction apocalyptique et les prédictions de fin du monde spécifiques de l’Homo Sapiens ne sont que des frissons de peur qui rassurent sur notre statut actuel d’humain dominant. Faut-il renoncer définitivement à prédire l’avenir ? En fait, ce n’est pas dans la nature humaine de renoncer, alors, poursuivons.
Un plafond de verre de la prédiction existe-t-il ?
Un premier plafond de verre est de nature philosophique. En reproduisant sa main sur le mur d’une grotte, l’homme a pu développer sa capacité à découvrir, à comprendre et à inventer. Mais quel est le bon ordre ? L’homme ne peut découvrir qu’en faisant référence à son propre système de perception et comprendre par rapport à ses propres références. Il ne peut inventer au-delà de ce qu’il projette de son propre système. Cette projection peut être traduite dans un langage de communication. Il peut utiliser un langage abstrait loin du dessin des premiers hiéroglyphes mais c’est toujours lui qui crée son propre système de référence. Cet avantage lui permet d’enrichir et de préciser ses découvertes avec les autres. Grâce au langage et à l’écriture, il peut figer dans le temps une réflexion, une idée, une découverte, un phénomène qu’il juge surnaturel, ou une observation qu’il n’explique pas. Il pourra reprendre son processus de compréhension après avoir développé ses capacités d’analyse et de raisonnement. Toutefois, il ne peut inventer ce qu’il ne peut pas projeter et comprendre techniquement. L’outil mathématique lui permet de dépasser la perception sensible mais ne reste qu’un outil soumis à la logique du Sapiens.
Cette théorie explique pourquoi, Jules Verne n’a rien inventé fondamentalement mais simplement combiné ou généralisé.
Est-ce à dire que l’imaginaire ne peut inventer au-delà du plafond de verre de la perception sensible ? oui sauf à considérer que le domaine artistique est une forme de prédiction du futur non déchiffré. Les œuvres d’artiste, ne cherchent pas à entrer dans un système de compréhension mais d’expression. Si, elles peuvent refléter émotionnellement les évolutions de l’environnement contextuel, elles ne participent pas directement aux découvertes. Elles peuvent accompagner une transformation de la pensée.
Un second plafond de verre est une limite technologique identifié au-delà duquel on ne peut pas aller que par son imagination. Par exemple dépasser la vitesse de la lumière est un plafond de verre. Techniquement impossible aujourd’hui mais imaginable (et déjà imaginé). Ou bien encore, obtenir la neutralisation de la gravité sans recourir à une force opposée (également déjà imaginé). Cela ne relève pas de la prédiction du futur mais de l’imaginaire. Mais ce plafond de verre existe-il vraiment ? Qui aurait imaginé en 1863 que l’homme pouvait (et non pourrait) franchir le mur du son (1024 km/h) en 1947 moins de 100 ans plus tard ? Le plafond de verre n’est-il alors simplement une limite psychologique qui limite la prédiction du futur. En 1863, dépasser la vitesse du son n’était pas un problème technologique à résoudre car l’idée même d’un mur du son était hors du champ de l’homo sapiens.
Et si jules Verne avait raison...
Pour Jules Verne, la domination technologique mènera le monde. Les savants deviennent les maîtres associés aux capitalistes. Le nouvel ordre est celui de l’élite industrielle, la source du progrès humain auquel il semble croire. Est-il un Saint Simonien convaincu ? Dans son livre visionnaire de Paris en 1963, Il regrette la disparition des belles lettres, du latin et de la musique classique. Il décrit le monde demain mais prend-il parti pour une société utopiste ?
En fait, ce n’est pas la technologie mécanique (comme le croyait Jules Verne) qui a causé l’abandon des belles lettres et du latin, c’est plutôt la technologie numérique qui a fait reculer l’écrit au profit de l’audio-visuel. Mais c’est jouer sur les mots. La dévalorisation de l’écrit, est-elle un obstacle à une évolution de la pensée ? la puissance de l’économie industrielle est-elle un obstacle à toute évolution de la pensée autre que le débat entre richesse et redistribution ?
Que répondre ? Les avancées dans les sciences font progresser la société dans ses connaissances mais également dans la philosophie. La nouvelle philosophie ne vient plus des belles lettres mais de la science qui remet en cause les certitudes acquises. La période de la Renaissance touche à sa fin. Comment qualifier la nouvelle période qui s’annonce ? La domination de la machine androïde sur l’homme esclave de la technologie à la sauce de Kurzweil ; j’en doute.
En revanche, les belles lettres et la philosophie classique sont en panne. Elles restent confinées à un cercle d’avertis comme il y a quelques siècles mais elle ne diffusent plus leur contenu.
Deux mondes semblent coexister, celui de médiacratie, la domination des médias déjà évoqué dans un de mes blogs, et celui de l’élite littéraire enfermé dans un cercle restreint. La culture populaire s'insère avec succès entre ces deux mondes et gagne en importance.
Et si Jules Verne avait raison. La domination technologique est envahissante. Cela veut dire qu’elle avance si vite que nous n’avons pas le temps de l’assimiler et de l’intégrer dans notre champ de conscience. Alors bien évidemment, elle alimente nos peurs et se traduit pas une résistance compréhensible au progrès.
Elle peut faire maître un militantisme violent, des actions de rejet de projets novateurs, la généralisation du principe de précaution, des comportements difficilement justifiables (position anti vaccin, alimentation VEGAN ,… ou bien encore un repli sectaire avec une vie partiellement ou totalement en dehors du monde moderne (il est parfois difficile de déterminer quand commence le monde moderne). Ainsi Le Chabbat dans la religion juive est un exemple de ce besoin de s’extraire du monde pour se retrouver. Il faut des pauses en dehors du monde moderne quant il y a trop d’accélération technique. Cependant, devra t-on considérer la bougie et la charrue comme moderne ? Devra t-on instaurer demain un jour férié la journée sans technologie plutôt qu’un jour de fête dédié à la religion. Cette réflexion philosophique fera l’objet d’un autre blog.
La peur du progrès technique n’est pas nouvelle. Elle va se traduire par des comportements d’évitement ou par des actions plus violentes. La rationalisation de cette peur peut conduire à rejeter certaines technologies. C’est une barrière culturelle qui ne peut être négligée dans la prédiction de l’avenir.
Linky est un compteur de la consommation électrique dit « intelligent », connecté au réseau électrique. Le cas du compteur Linky est exemplaire dans ce domaine de la peur « technologique » et des réactions qu’il suscite... Il enregistre les données de consommation et va les transmettre. Pour ses partisans, c’est une avancée technologique qui permet de faire des économies. Pour ses opposants, Linky est un gadget inutile qui est dangereux en raison de sa production d’un champ électromagnétique. Et il serait même un danger pour les libertés individuelles car il stocke les données de consommation électrique d’un foyer.
L’histoire des découvertes scientifiques montre des périodes différentes. Cela provient pour partie de la culture qui favorise ou non la recherche scientifique et son acceptation. Il semble que la culture religieuse avec ses nombreux dogmes et tabous n’a pas favorisé la voie de la recherche scientifique. Rappelons à titre d’exemple que Galilée fut condamné à la prison pour avoir soutenu l’héliocentrisme en 1633. Quelques communautés comme les jésuites dont la tradition scientifique date de 1540 étaient plus ouvertes sur l’intérêt de cette recherche.
L’alchimie était une pratique surveillée par le pouvoir religieux et qui restait secrète. Les découvertes n’étaient pas formalisées par une théorie. « Percer les secrets de la nature » selon les mots de Francis Bacon, un penseur critique de la science à l’époque de la Renaissance et considéré comme initiateur de la pensée moderne scientifique, passe par d’abord par une observation rigoureuse et méthodique de la nature. Cela signifie que l’on va d’abord s’attacher à voir mais à analyser différemment. Voir pour l’homme est une fonction essentielle au progrès de la science sans laquelle il ne peut avoir une capacité d’abstraction.
La progression de la science va donc être d’abord de comprendre ce que l’on voit avant de comprendre ce que l’on ne voit pas mais que l’on représente abstraitement. Le besoin de méthode (j’aime bien cette définition : organisation raisonnée de moyens que l’esprit utilise pour atteindre un objectif) apparaît alors comme l’adjuvant indispensable à la découverte scientifique.
La méthode empirique (Voir, Observer, Reporter, Décrire, Spécifier, Mesurer, Classer, Identifier, Attribuer, faire une hypothèse, …), la méthode expérimentale (Identifier les paramètres du phénomène, faire une hypothèse, tester en faisant varier un ou plusieurs paramètres,) seront les plus utilisées. Il est clair que l’obscurantisme ne pourrait revenir que par un asservissement doctrinaire et une puissante action liberticide. C’est un scénario improbable mais imaginable. La destruction des symboles culturels et du savoir lui-même n’est pas absente du parcours de l’Homo sapiens, pas si « Sapiens » que cela.
En attendant, cherchons une méthode alternative de prédiction du futur. L’idée est que le plus important n’est pas de dater les découvertes et inventions mais de les intégrer dans des routes prospectives à 20 ans.
Ce travail est en cours. A suivre …
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